H-A Logo histoires d'Afrique blanc
Par Bamby DIAGNE

Mwanga II, résistant ou faux prophète ?

Mwanga II accède au trône du Buganda le 19 octobre 1884, à l’âge de 16 ans. Cette époque est marquée par une forte instabilité politique ainsi qu’une montée en puissance des forces extérieures au pouvoir en place au Buganda.

Durant cette période, l’influence de l’Islam croît dans la région, notamment avec l’intensification des relations commerciales avec les arabes et d’autres peuples situés à l’Est déjà islamisé, notamment les Swahili de Zanzibar et les commerçants du port de Sofala. Le christianisme commence également à se faire une place car, dès 1877, des missionnaires protestants puis catholiques ont déjà débarqué dans le pays dans le but d’évangéliser les populations locales.

En 1888 – soit 4 ans après le début du règne de Mwanga II – une large région à l’ouest du Kenya comprenant le Bouganda est confiée à la Compagnie britannique impériale d’Afrique de l’Est. Bien qu’unifié au sein de l’Ouganda par les Britanniques, le Bouganda reste un royaume puissant et ne sera jamais conquis par les armées coloniales, le roi ayant négocié avec l’envahisseur pour obtenir le statut de Protectorat britannique.

Malgré les négociations politiques avec les Britanniques et l’éducation qu’il a reçu des missionnaires, Mwanga II s’oppose farouchement à l’inéluctable évangélisation de son peuple.

Kampala, comme Rome, est construite sur sept collines, et pour les Ougandais, chacune a une signification particulière. Mais aucune n’est aussi importante que la colline de Mengo. Même les Britanniques n’osaient pas violer son caractère sacré, car sous son dôme argenté vivait le Kabaka (souverain) du Buganda, le plus grand et le plus riche des cinq anciens royaumes ougandais.

La maison du roi, ou peut-être devrait-on dire le palais, était un grand bâtiment à deux étages, entièrement fait de roseaux et couvert de chaume. À l’arrière se trouvent les maisons de ses épouses, et dans une enceinte séparée celles de ses pages et autres personnes à charge.

Toute la crête de la colline était entourée d’une énorme clôture de roseaux, haute de 15 pieds environ, formant un cercle complet. Cette clôture contenait plusieurs entrées à l’enceinte du roi, ou Lubiri comme on l’appelle, chacune étant gardée par un couple d’hommes faisant office de sentinelles et dont les petites huttes étaient construites juste à l’extérieur de la grande clôture.

Mwanga II cultive une profonde réticence à l’encontre des religions exogènes. Tout d’abord à l’islam, religion à laquelle son peuple est confronté via les marchands musulmans de Zanzibar qui tentent de convertir les populations de la région et ainsi d’étendre leur zone d’influence. Ensuite arrive le christianisme avec les colons.

Vers 1885, plusieurs pages de la cour se sont déjà convertis au christianisme sous l’influence des missionnaires britanniques. En effet, ces derniers les mettent en garde contre les pêchés démoniaques de la sodomie et de l’homosexualité. Devenus chrétiens, il leur est interdit d’avoir des relations sexuelles avec le roi sous peine d’affronter la colère de Dieu et de finir en enfer. Mwanga II est furieux. À ses yeux, son autorité se délite et son propre peuple sont en train de l’abandonner.

Afin de freiner l’influence de la religion chrétienne dans le pays et d’asseoir son autorité, le roi fait exécuter l’évêque-missionnaire anglican, James Hannington. Puis, entre 1885 et 1887, 40 convertis sont brûlés vivants, officiellement pour pratique du christianisme. En réalité, Mwanga II les aurait fait exécuter pour s’être refusés à lui une fois convertis. Vingt-deux d’entre eux étaient des catholiques romains qui seront canonisés par le pape Paul VI en 1964. Aujourd’hui, en Ouganda, ils sont toujours célébrés comme des martyrs le 3 juin.

Le premier coup d’état

En 1888, profitant de l’instabilité politique du gouvernement, les musulmans ont organisé un « coup d’État » contre le Kabaka Mwanga et placé Kiweewa Nyionyintono, son demi-frère, sur le trône Baganda. Cependant ce dernier n’y reste pas très longtemps car 1 mois plus tard, il est remplacé par un autre frère, Kaleman. Ces événements ont déclenché des guerres religieuses et politiques qui se sont étendues de 1888 à 1894.

Afin de regagner le pouvoir, Mwanga II se voit contraint de composer avec les Britanniques. Il négocie avec eux de céder une part des pouvoirs de sa couronne, dans l’objectif d’évincer son frère. Le roi déchu accorde de laisser une part de sa souveraineté à la Compagnie Britannique Impériale d’Afrique de l’Est. Il se convertit même au Christianisme pour consolider ses relations.

La rivalité entre les Wa-Fransa (catholiques) et les Wa-Ingleza (protestants) n’était surpassée que par leur haine mutuelle de la faction islamique. En septembre 1889, la coalition chrétienne de Mwanga s’effondre. Il a demandé aux missionnaires de le rejoindre sur les îles pour l’aider à consolider ses forces. Avec l’aide des missionnaires, tant protestants que catholiques, Mwanga reprend le contrôle de ses forces et chasse les musulmans de la capitale.

Il réussit donc à renverser son frère en 1889 avec l’aide des britanniques. À son retour sur le trône, la cour de Mwanga était divisée en deux. La moitié de ses conseillers sont catholiques, l’autre moitié est protestante. Mais très vite, les rivalités et objectifs divergents des Wa-Fransa et des Wa-Ingleza se font ressentir.

Mengo Frederic Lugard était l’homme de la I.B.E.A. Company pour régler la question du contrôle européen en Ouganda. Il marcha vers l’Ouganda armé du traité anglo-allemand, de 270 porteurs armés, de 50 askari soudanais et somaliens, de quelques autres Européens. Lugard est arrivé en Ouganda en décembre 1890. Il est entré dans le pays sans demander la permission du Kabaka, a installé son camp dans la capitale, puis a dit à Mwanga qu’il serait prêt pour une audience.

Ce qui semblait être un duel de force entre chrétiens et musulmans ressemblait de plus en plus à un conflit de 4 clans opposés. Les musulmans, les catholiques, les protestants et les loyalistes s‘armaient pour faire face à toutes possibilités, tout en nouant des alliances ponctuelles pour servir leurs propres intérêts.

Rivalité entre blocs français et anglo-saxons

Le 31 décembre 1891, des catholiques sont allés voler des denrées dans la plantation de Kagwa (en signe de mépris pour le Katikiro).

Apollo Kagwa était le leader de la faction protestante, et très jeune déjà, occupait une place importante dans la vie politique du Buganda. Il était Katikiro, terme qui pourrait se traduire par Premier Ministre. Il faut savoir qu’il a été également le Regent principal durant les jeunes années de Daudi Chwa II sur le trône Bangada.

Ils furent chassés par les hommes de Kagwa, mais revinrent en plus grand nombre et une dispute s’ensuivit. Des coups de feu ont été échangés et un Wa-Ingleza est tombé. Un groupe important de protestants présents sur le marché a entendu les coups de feu et a avancé sur la route. Les protestants ont été coupés par deux enclos catholiques qui ont ouvert le feu. Certains Wa-Ingleza ont continué à se frayer un chemin sur la route principale vers le palais, tandis qu’un autre groupe tournait sur la droite. Ils rencontrèrent une certaine résistance, mais finirent par monter la colline de Rubaga, sur laquelle se trouvait la mission catholique. La mission a ensuite été mise à feu.

Mwanga, qui avait subi humiliation après humiliation de la part de Lugard et de son Katikkiro Kaggwa, avait auparavant retiré avec défi le drapeau de la BritIsh Compagny et hissé le sien. Le jour de l’an 1892, il défile pour assister à un service religieux catholique, accompagné d’environ 10 000 personnes, dont un orchestre et des danseurs, afin de provoquer les protestants.

Le 24 janvier 1892, la guerre éclate.

Les Wa-Fransa, en réponse à l’incendie de leur église, ont attaqué en masse l’enceinte d’Apollo Kagwa. Les hommes de Kagwa sont rapidement mis en déroute et se réfugient dans le fort. Les protestants sont poursuivis avec acharnement par les catholiques jusqu’à ce que Lugard ouvre le feu avec l’un de ses canons Maxim.

Il semble que les catholiques ne s’attendaient pas à ce que Lugard et ses forces interviennent ou se rangent du côté des protestants. Pourtant, c’est précisément ce qui s’est passé. C’était la première fois que le canon Maxim était utilisé en action au Buganda. Mis en déroute par le canon, les catholiques se dispersent et s’enfuient tandis que les protestants suivent et mettent le feu à leurs maisons et à l’église de Rubaga.

Reconstitution de Mengo Hill et le Palais Royal

L’avance protestante est soutenue par Lugard et 200 Soudanais. Les catholiques se brisent sur tous les fronts et s’échappent vers les îles du lac Victoria. Le capitaine Williams, envoyé par Lugard, aide à brûler le palais de Mwanga à Mengo après que le Kabaka se soit enfui avec quelques loyalistes. Bien qu’il y ait encore beaucoup de travail et de combats à mener, à la fin de la journée, la Compagnie était devenue maître de l’Ouganda.

En 1897, marginalisé depuis près de 6 ans, Mwanga se révolte, rallie un soulèvement régional contre l’oppression étrangère. Vaincu une première fois en juillet 1897, il réussit à s’échapper vers l’Est et retourne au Buganda avec une armée rebelle, mais il fut de nouveau vaincu le 15 janvier 1898. Il fut capturé et, en avril 1899, exilé aux Seychelles.

Alors qu’il était en exil, il fut converti, baptisé et son nom fut changé en Danieri (Daniel). Il passe le reste de sa vie en exil et meurt en 1903 à l’âge de 35 ans.

Héritage

Le corps de Mwanga II est rapatrié en 1914. Il reçoit une sépulture dans le tombeau royal de son père à Kasubi (aujourd’hui patrimoine mondial de l’Unesco), à Kampala, la capitale de l’Ouganda actuel. Avant cet événement, tous les rois Bangada étaient enterrés dans des sépultures individuelles.

La vision que les Baganda retiennent de Mwanga II restent timorée. Pour ses détracteurs, il demeure un souverain qui face à la puissance Britannique, n’a cherché que des compromis avançant que c’est sous son règne que, suite à des négociations, le territoire Baganda fut cédé à la British East Africa Company.

La question des mœurs

Nombreux sont les Ougandais qui aujourd’hui, ont une position selon laquelle l’homosexualité est un comportement déviant « occidental » ou « européen » importé en Afrique. Dans le contexte des mœurs africains actuels, Mwanga est une aberration que, localement, on souhaite oublier ou nier. Il ne peut constituer un héros nationaliste et anticolonial.

Mwanga II et plusieurs pages de sa cour.

En 1885, durant le règne de Mwanga II, l’Angleterre promulgue la Criminal Law Amendment Act (loi amendant la législation criminelle), laquelle sera appliquée à travers tout l’Empire et qui sert toujours de base juridique dans d’anciennes colonies pour criminaliser l’homosexualité.

Pourtant, selon le sociologue camerounais Charles Gueboguo, l’homosexualité existe en Afrique depuis des millénaires et est rapportée dans de nombreuses tribus : Siwans, Kivaï…

Ce qui a donc été importé par le colonisateur britannique en Ouganda est bel et bien l’homophobie justifiée grâce à la religion.

Face au scandale international que provoquent les rebondissements de la politique répressive antihomosexualité en Ouganda, les militants internationaux tendent à vouloir voir en Mwanga II, une icône gay. Pourtant, le dernier souverain du Buganda indépendant est surtout un roi inexpérimenté parvenu trop jeune au pouvoir. Bien moins sanguinaire que ses prédécesseurs, il a cherché avec constance à préserver l’autonomie et l’unité de son royaume.

Populaires

Réseaux Sociaux

Newsletter

Sois toujours à la page

Pour ne pas louper nos nouveautés !

Ici pas de spams, c’est un mail par semaine !

Categories

Tendances

Articles similaires

Thomas Mapfumo chanteur concert

Thomas Mapfumo, l’héritage d’un artiste révolté

Pour se pencher sur le fameux personnage de Thomas Mapfumo, il est important de faire

Sarah Baartman la vénus Hottentote

Sarah Baartman

Les zoos humains pendant la traite négrière Nous sommes en 1810, pleine période d’esclavagisme et

Projection de Africa Mia, film documentaire sur Las Maravillas de Mali. Ciné Scred.

Projection Cine SCRED : Africa Mia

C’est au centre Curial, dans le 19ème arrondissement parisien que nous nous sommes retrouvés le