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Par Samuel Delengaigne Keïta

La colonne infernale

La colonisation est plus que la domination d’un individu par un autre, d’un peuple par un autre ; c’est la domination d’une civilisation par une autre ; la destruction des valeurs originales par des valeurs étrangères.

Léopold Sedar Senghor

La colonisation de l’Afrique est plus que jamais un sujet d’actualité. En effet, par le biais des nouveaux moyens de communication, d’échange et de traitement de l’information, les Afro-descendants semblent vouloir lever certaines parts d’ombres planant sur le passé des leurs ancêtres.

Pour déposer notre pierre à cet édifice colossal en connaissances et en questionnements , nous vous proposons de revenir sur un épisode méconnu de la colonisation de l’Afrique dite « Francophone ». 

C’est avec curiosité que nous nous pencherons sur l’histoire de la Colonne infernale, j’ai nommé : La colonne Voulet-Chanoine.

Il est important de poser les bases du contexte afin de comprendre dans son entièreté le propos suivant.

Lors du déroulement de ces événements, « La course aux colonies » battait son plein parmi les puissances européennes. Les Français souhaitent acquérir un maximum de territoires afin de « rivaliser » avec le Royaume-Uni, mais les difficultés rendent les manœuvres des états européens parfois difficiles.

La crise de Fachoda en 1898 : choc des impérialismes français et anglais | RetroNews - Le site de presse de la BnF

La crise de Fachoda en est la preuve. En 1898, le capitaine Jean-Baptiste Marchand se voit attribuer pour mission de relier Dakar à Djibouti. Cependant, il va se heurter aux troupes Anglo-égyptiennes situées dans le Soudan du Sud à Fachoda. Les deux nations souhaitent étendre leur pouvoir, c’est ainsi que commence un bras de fer pour voir qui des Français ou des Anglais retira ses troupes en premier.

Craignant une nouvelle guerre Anglo-Française et pour des questions géopolitiques, l’exécutif français décide de retirer les troupes du capitaine Marchand. Cette crise de Fachoda est vécue comme une véritable humiliation pour la France. Au même moment, à l’échelle nationale française l’affaire Dreyfus fait couler de l’encre entre dreyfusards et antidreyfusards, remettant alors en question l’intégrité de l’armée.

Cela nous amène en 1899. Dans le but de laver l’humiliation subie au Soudan du Sud, le pouvoir français monte trois expéditions devant partir à la conquête du Tchad : Foureau-Lamy qui part d’Alger, la mission Gentil partant d’Oubangui-Chari, actuelle Centrafrique et enfin la mission Voulet-Chanoine qui est partie de St-Louis au Sénégal.

Enfants pendus, décapitations... l'atroce conquête du Tchad, il y a 120 ans

Paul Voulet et Julien Chanoine sont deux officiers de l’armée française, s’étant notamment illustrés lors de la conquête du Royaume Mossi (Burkina Faso actuel) entre 1896 et 1898.

Leurs méthodes sont rudes voire sanglantes.

Ces missions doivent restaurer la grandeur de la France qui souhaitent s’installer au Tchad avant les Anglais. La colonne Voulet-Chanoine se compose de six officiers français, de quelques 200 tirailleurs africains ainsi que de nombreux porteurs. Malgré le nombre de personnes ainsi que leur organisation, la colonne des deux protagonistes n’est pas épargnée par les maladies, le manque de moyens ainsi que la chaleur.

Massacres de la mission Voulet-Chanoine. Quelle justice aujourd'hui ?

Contraint de demander aux locaux de quoi subvenir à leur besoin, les militaires usent de la violence envers toutes celles et ceux qui refusent de leur venir en aide. Ça y est ! La colonne infernale est lancée.

La colonne Voulet-Chanoine déferlent sur le Sahel tout en se dirigeant vers le Tchad et rien ne semble l’arrêter. Les militaires violent, pendent et décapitent avec cruauté dès qu’une difficulté se place sur leur route.

Le lieutenant Peteau ne supportant les excès de ses camarades se fait licencier par Voulet. Il écrit une lettre mentionnant toutes les horreurs commises par les troupes de Voulet et Chanoine. Ce même courrier se retrouva sur les bureaux du gouvernement français qui prit la décision en Avril 1899 de mettre fin à leurs monstruosités.

Ayant peur de créer un nouveau scandale entachant l’auréole de l’armée en plus de l’affaire Dreyfus c’est avec discrétion que l’exécutif tente de parvenir à ses fins. Le colonel Arsène Klobb, basé sur Tombouctou reçoit l’ordre de stopper cette colonne le même mois.

En passant par le Sud-Ouest du Niger, les troupes de Voulet et Chanoine se heurte à une reine locale qui leur fit perdre des leurs ainsi qu’un temps précieux. Les archers de la reine Sarraounia ont réduit leurs effectifs, de peu mais nous pouvons imaginer que cela a du peser sur le moral des soldats.

 

De son côté, le colonel Klobb poursuit sa course contre la montre afin de stopper la colonne infernale. Partout où la colonne passe elle sème la mort. 

Ce qui semble être le journal du colonel Klobb mentionne la cruauté des tirailleurs et des officiers en décrivant l’état du village de Koram Kalgo (au Niger).

L’écrit mentionne « des ruines fumantes » à la place du village, « des petites filles d’environ dix ans suspendues à un arbre à l’entrée du village » ainsi qu’un très grand nombre de cadavres d’hommes « dans la fleur de l’âge ». En plus de leurs violences excessives les militaires traversent des territoires Britanniques violant la constitution mise en place en 1898.

Le 14 Juillet 1899 toujours au Niger, la colonne du colonel Klobb et celle de Voulet-Chanoine se rencontrent. Le colonel Klobb sans intentions belliqueuses, s’est avancé dans le but d’argumenter avec les officiers de la colonne d’en face mais dut se résigner lorsque Voulet donna l’ordre à ses troupes d’ouvrir le feu. Le colonel Klobb tomba mort. C’est à ce moment précis que l’Histoire prend une allure de légende; Voulet aurait alors prononcé : « Je ne suis plus français, je suis un chef noir ! Et je vais fonder un empire ! » tout en arrachant ses galons.

How The Voulet-Chanoine Mission Revealed The Horrors Of Colonialism

Cela ne dura que peu car le 16 Juillet, Chanoine est tué par ses propres troupes et un jour plus tard Voulet sera lui aussi assassiné.

C’est ainsi que se termine l’histoire de la colonne Voulet-Chanoine qui traumatisa l’Afrique de l’Ouest à l’aube de l’année 1900. Un an après ces tueries, une nouvelle expédition devant mener à la conquête du Tchad est lancée.

Ce qui est intéressant avec l’histoire de la colonne Voulet-Chanoine c’est que cette histoire assez méconnue vient se heurter au manière de faire « classiques » des colons. S’il est vrai que cette expédition devait s’effectuer à base de traités et accords avec les chefs locaux, ce fut bel et bien la barbarie d’un groupe d’hommes qui s’est montrée dominante.

Les populations rattachées à cet épisode tragique parlent d’un véritable traumatisme. Et quand bien même l’État admettait les violences commises durant la colonisation de l’Afrique, cette radicalité barbare et effrayante vient s’opposer au discours prônant le motif « civilisateur » qui a poussé ces missions censées promouvoir les bienfaits de la colonisation.

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