Si nous voulons saisir le sens des rituels du Kubandwa, il est important de faire la distinction entre la vision chrétienne d’une divinité et le sens originel du terme imana sur lequel on va s’attarder dans quelques instants.
D’abord, il faut prendre conscience que ce culte a été longtemps incompris comme beaucoup de cultes africains observés par un oeil exogène. Comme pour beaucoup d’entre celles-ci, le kubandwa revêt une grande part d’ésotérisme, que ce soit dans les rituels pratiqués autant que dans la façon dont “Dieu” est perçu dans cette cosmogonie.
Les Pères missionnaires Blancs, durant la première décennie de leur présence au Rwanda, ont adopté le swahili « Mungu » pour désigner la divinité Imana. Le premier à noter le caractère confus de la notion d’imana, c’est un ethnographe qui s’appelait Czekanowski. Il est le premier à mettre en lumière l’existence d’un « panthéon rwandais » dans un ouvrage en 1908.
Définition du culte
Le kubandwa, c’est l’acte d’honorer Imana. Cette notion de force fluide, dont la circulation ordonnée est nécessaire à la vie et à la reproduction, est centrale au culte de Ryangombe et à ses rituels.
Comme je le soulignais tout à l’heure, il y a longtemps eu confusion dans la compréhension de ce culte à l’étranger. Le missionnaire Alexandre Arnoux, en 1912, assimile imana au Dieu chrétien, parlant de la protection du « Créateur imana » dont jouit Ryangombe. C’est en présentant des analogies pour présenter un concept étranger que parfois on dénature son sens profond.
Pour vous donner un exemple pour expliciter un peu cette notion d’imana. Le mwami, qui correspond du coup au titre que l’on donne au roi, était Imana mais non pas Dieu. Le mot « imana » comporte un pluriel, amamana, qui désigne des matières divinatoires et le préfixe lorsqu’il change peut renvoyer à des arbres à caractère rituel (iki-mana, ibi-mana)
Tous ces éléments linguistiques orientent vers une perception du mot imana très holistique. Tout ça oriente vers une force impersonnelle qui réside dans toute chose, ou du moins, qui traverse toute chose. Imana, c’est une force fluide dont la circulation bien réglée assure la pérennité sociale.
La santé, la cohésion sociale, l’abondance , toutes ces notions dans la société traditionnelle rwandaise repose sur une circulation régulée des forces. Il ya des obstacles qu’il faut neutraliser pour restaurer la circulation des forces entre les vivants et les morts, les humains et la nature. Pour contrer ces obstacles on accomplissait des rituels, soit préventifs, soit curatifs, notamment l’apaisement des ancêtres et la pratique du kubandwa.
L’importance des rituels est manifeste dans la vie quotidienne comme dans la gestion des moments exceptionnels. Le rapport de causalité entre un trouble et son origine se situe dans la métonymie c’est-à-dire le rapport de la partie au tout. C’est là dessus que s’établit le diagnostic divinatoire d’un trouble dans le rapport à l’au-delà que le rituel cherche à résoudre.
Et donc on aussi quelque chose de très intéressant c’est que si on y regarde plus près le kubandwa intègre l’effet papillon au centre de sa méthode. Je peux là donc, me permettre une analogie. La vision du kubandwa c’est que la vie individuelle et la vie sociale sont faites de rouages. En actionnant un d’entre eux, on a un effet sur le tout peu importe qu’on le perçoit ou non.
C’est donc de manière préventive, souvent, qu’on organise des rituels pour s’assurer le bon fonctionnement de ces rouages dans leur entièreté. Et d’autre fois, on le fait aussi lorsque le mal est arrivé donc à but curatif comme je l’ai dit plus tôt.
L’origine du mythe
Les ethnologues s’accordent à dire que les rituels semblent d’origine cwezi (Bunyoro), mais ceci ne signifie pas que le kubandwa, c’est à dire les fondements de cette spiritualité rwandaise s’est imposée à une époque déterminée ni qu’elle s’est imposé en premier chez les cwezi en fait.
Les cwezi c’est une dynastie mythique qui a régné dans le bunyoro au nord de la région des grands lacs. On attribue une origine nubienne à leur ancêtres donc soudan actuel. Il feraient partie originellement de l’ethnie Lwoo. D’ailleurs cette ethnie gouvernait encore le territoire d’Anywah dans les années 60.
À une certaine époque, deux familles de cette ethnie s’installent au nord du burundi actuel. Les jo-wat-Cwa et le Jo-wat-Bitho et leur noms se sont bantouisés par la suite après qu’ils se soient installés. Les jo wat Cwa sont appelé Cwezi ou Ba-Cwezi qui est un préfixe purement bantou.
Dans leurs traditions, les Cwezi se réclament d’une origine céleste. Wamara, dernier roi cwezi, s’est replié du Nkole vers le sud-est, où les Cwezi auraient été définitivement vaincus.
Cela semble impossible d’attribuer une origine particulière au système de croyances puisque les rituels s’imbriquent sur des usages locaux, la nouveauté et les éléments préexistant à son introduction progressive produisant une synthèse, elle-même jamais figée.
Le kubandwa est aussi appelé le « culte de Ryangombe ». Ça revient à mettre en lumière ce personnage mythique qui est supposé avoir institué le culte au Rwanda et qui apparaît, aussi bien dans les rites du culte que dans les récits de son mythe fondateur, comme le personnage central autour duquel évolue un groupe d’autres personnages ou esprits qu’on appelle les imandwa.
Ce culte possède une des techniques d’approche “nouvelles” du sacré qu’il a apportées dans l’univers rwandais à une époque où il était dominé alors par le culte des ancêtres (Guterekera) complété par la divination (Kuragura/za) qui n’arrivaient plus à calmer l’angoisse due à un vide existentiel oppressant.
Kubandwa peut donc signifier :
- s’initier au culte de Ryangombe
- être un adepte du culte de Ryangombe
- officier dans le culte de Ryangombe
- représenter (être possédé par) un esprit du culte de Ryangombe
- imiter le cri de tel esprit du culte de Ryangombe
- implorer tel esprit du culte de Ryangombe
- magnifier tel esprit du culte de Ryangombe.
Imandwa a habituellement quatre sens :
- il peut désigner un adepte du culte de Ryangombe ; b) officiant du culte de Ryangombe ; c) participant à un rituel du culte de Ryangombe ; d) peut désigner un esprit du culte de Ryangombe.
Le Culte
Ce qui est mis vigoureusement en relief dans les paroles institutionnelles de Ryangombe, c’est le caractère égalitaire, universaliste, vraiment humain du culte. Tous les hommes y sont appelés sans distinction de race, de condition, de classe, de sexe, d’âge, tous individuellement, parce que tous ont droit à la paix et au bonheur.
Le culte comprend un ensemble d’actes rituels destinés à mettre l’adepte en rapport avec les esprits Imandwa auxquelles il reconnaît un pouvoir et un principe supérieur et dont dépendent sa destinée, son bonheur et son « salut », et auxquelles il doit respect, dévotion, prière, offrandes et louanges.
Kubandwa évolue dans le secret en ce sens qu’il se célèbre dans l’intimité des adeptes, loin des yeux et des oreilles des profanes appelés « inzigo », les « non-initiés », dont le sens comporte une nuance d’antagonisme.
Chaque esprit a un rôle bien précis à remplir auprès des initiés. Un esprit est tutélaire de l’élevage, un autre de l’agriculture, d’autres sont chargés de la chasse, de la divination, de la production du miel, de la protection des mères, etc…
Délitement du culte
Dans les campagnes, durant les dernières décennies du XXe siècle, le culte était encore parfois organisé. Certes, des rituels hérités du passé parsemaient et parsèment encore la vie quotidienne de certaines communautés isolés; cependant, les éléments ne font plus système, la cohérence de l’ensemble s’est émietté, d’abord avec l’érosion et la perte de puissance des pouvoirs lignagers et enfin, avec la disparition des institutions et des rituels de la royauté sacrée.